Responsables : Philippe Antoine et Françoise Le Borgne
 

L’implantation au CELIS du réseau www.crlv.org et la récente création de la revue électronique Viatica (http://revues-msh.uca.fr/viatica/) constituent un support qui permet de développer une étude du texte viatique, portant plus spécifiquement sur les époques des Lumières et du Romantisme que l’équipe se propose d’envisager à partir d’une double perspective, historique et spatiale.

Penser l'Histoire :


1.1 Projet MSH « Voyage et Révolutions, de l’Indépendance américaine à l’émergence des États nations (1770-1870) » (2015-2016)
Ce projet est élaboré par des spécialistes des littératures de langue française, anglaise, allemande et italienne membres de l’équipe « Lumières et Romantisme » du CELIS et d’historien du CHEC spécialistes des Révolutions des dix-huitième et dix-neuvième siècles. Il sera ponctué par les étapes suivantes :
- séminaire interne à l’équipe pluridisciplinaire porteuse du projet
- journée d’étude réunissant des collègues extérieurs à l’UBP (26 novembre 2015) et destinée à dresser un état des lieux quant à la manière dont ces collègues (historiens et littéraires) appréhendent la question des liens entretenus entre voyages et révolutions.
- colloque (deuxième semestre 2016) permettant d’approfondir une problématique originale de la thématique « Voyages et Révolutions ».

1.2 Ruptures historiques et vision de l’Histoire dans les récits de voyage des XVIIIe et XIXe siècles
À partir de l’étape décrite ci-dessus sera initiée une réflexion plus large, poursuivie dans le cadre du quinquennal, sur la façon dont les ruptures historiques sont appréhendées dans les récits de voyage des XVIIIe et XIXe siècles.
Le voyage apparaît au XVIIIe siècle comme le cadre privilégié d’une réflexion sur le sens de l’Histoire : au moment où la conception d’une Histoire-progrès s’impose progressivement aux dépens de la conception cyclique encore prédominante dans la première moitié du siècle, la confrontation avec des peuples différents a toujours pour perspective une interprétation de l’Histoire. Celle-ci légitime l’entreprise civilisatrice et coloniale des voyageurs ou entretient la nostalgie des observateurs qui, dès le XVIIIe siècle, constatent la dénaturation, voire la destruction des sociétés « primitives », broyées par la confrontation avec les Occidentaux. Une réflexion sur les ruptures induites par la dynamique coloniale se développe, en particulier dans la volumineuse Histoire philosophique et politique des deux Indes de l’Abbé Raynal, trente fois rééditée entre 1772 et 1789.
Au XIXe siècle, le récit de voyage, souvent écrit par des voyageurs fascinés par l’action politique dont ils se sentent dépossédés en France – on pense à Maxime Du Camp -, raconte les révolutions en marche en multipliant les prismes d’observation. Le récit se fait réflexion politique sur un événement majeur (Risorgimento et unité italienne), portrait de personnalités politiques érigées en modèles référents (Méhemet Ali, Cavour, Garibaldi, Victor-Emmanuel, Manzoni…), tableau d’épisodes spécifiques (expédition des Mille, percement du Canal de Suez). La narration d’un moment politique, choisi pour sa force symbolique, s’écrit dans une empathie qui interroge cependant la fiabilité du témoignage politique. Ainsi, chez Louise Colet, les écritures se mêlent, littéraire et viatique, journalistique, partisane.
Plus largement, le récit de voyage traque la révolution des mentalités à travers les épisodes mémorables de l’Histoire en marche. Dans l’événement politique, il scrute les évolutions de pensée, il compare le contexte de son pays natal à la situation autochtone, il se montre en quête d’expériences à transporter chez soi pour les renouveler. En cela, il tente d’écrire l’avenir en redéfinissant les voies du Progrès. L’acte révolutionnaire ou le moment de rupture sont observés pour interroger la politique française, envisager d’autres formes d’avenir, penser une nouvelle conscience politique.
De ce point de vue, le récit de voyage confronté à l’événement politique révolutionnaire se fait aussi expérience de l’Autre : la rencontre du colonisé chez Maupassant opère une révolution de sa conscience politique et citoyenne. Le regard du Français en France se transforme lorsqu’il découvre les réalités de la situation coloniale sur place. La révolution opérée par la colonisation devient l’objet d’une révolution des pensées.
L’objectif de ce projet, qui prendra la forme d’un séminaire et donnera lieu à une publication (ouvrage collectif et/ou numéro de la revue Viatica) serait d’analyser l’interaction entre ruptures historiques, politiques et culturelles et l’écriture des récits de voyage aux XVIIIe et XIXe siècles, à la fois dans le cadre des voyages lointains suscitant une interrogation sur le devenir des peuples « sauvages » ou « primitifs » et dans le cadre de voyages européens ou orientaux suscitant le souvenir de civilisations disparues (voyage en Italie notamment).

Penser les territoires :


Le récit de voyage représente les territoires, il les « cartographie », en mots et en images : il donne à connaître au sédentaire ce qu’il n’a jamais vu et propose une approche testimoniale qui prétend refléter le monde en consignant étrangeté et différence. Mais le discours viatique pense aussi les territoires au sens d’une entreprise de reconfiguration. Lecture de l’espace parcouru, il en conçoit l’évolution dans le temps et en suggère des modes d’emploi. En ce sens, son propos est également d’ordre sociologique ou géographique : l’espace est aussi et avant tout pensé à travers l’homme et la relation qu’il entretient avec son environnement.

2.1 La France en livres illustrés
Ce colloque, programmé à Cerisy en juillet 2016 et organisé conjointement par le CELIS, le CIEREC (Saint-Étienne) et le CELLAM (Rennes) permettra d’examiner les modalités selon lesquelles le livre – incluant des mots et des images en un univers clos – s’offre comme le réceptacle privilégié d’un archivage du patrimoine monumental ou paysager tel qu’il s’articule avec l’évolution des pratiques humaines de l’espace. Continuités, seuils et évolutions seront envisagés. La manière dont ces ouvrages conjuguent une portée esthétique à des enjeux géopolitiques sera plus particulièrement étudiée, comme la façon dont se combinent la suggestion d’une identité et ses retombées en matière de préservation, d’aménagement ou encore de valorisation économique des lieux. Une place importante sera réservée dans cette manifestation au genre des « voyages pittoresques » qui fleurissent au cours du XIXe siècle.

2.2 Guides et récits de voyage : les arts de voyager
Il n’y a pas nécessairement de solution de continuité entre les guides et les récits de voyage. Si les premiers ont alimenté de manière notable les seconds, l’inverse est également vrai et il vaut sans doute la peine de scruter avec soin la manière dont cette littérature géographique pense et organise l’espace en fonction d’itinéraires qui deviennent prototypiques, de pratiques qui se standardisent avec l’évolution du tourisme ou encore de critères visant à sélectionner et à hiérarchiser les « curiosités ». L’étude de la relation viatique ne saurait donc être dissociée de ces « arts du voyage » qui nous renseignent, de manière explicite ou non, sur des usages du monde liés à l’histoire des moyens de transport, à des systèmes de valeurs et aux motifs et conditions du voyage. Ils tirent leur origine de cette « littérature apodémique » qui délivrait à l’origine des conseils à ceux qui se lancent sur les chemins, expliquait comment organiser au mieux son déplacement et prodiguait des instructions visant à programmer au mieux un itinéraire et écrire le récit qui le doublait.
La rubrique de Viatica consacrée aux arts de voyager a pour ambition de constituer progressivement une anthologie raisonnée rassemblant ces réflexions sur la pratique et le sens du voyage, intrinsèquement liées à la perception et à l’usage des lieux. Le travail mené offrira ainsi l’occasion de constituer des corpus (centrés sur un auteur ou sur une « situation ») qui seront analysés sous l’angle des représentations qu’ils construisent.