Les poètes dans la cité en révolution (1789-1848)

Projet Régional dans le cadre du programme : «Projets structurant en SHS »
Durée du projet : septembre 2015 - septembre 2018

Les poètes de la Révolution française ont souffert d’une légende noire, tenacement construite à partir de la réaction thermidorienne et au tournant du XVIIIe siècle par ceux qui n’avait pas communié à la nouvelle sociabilité, aux normes du récit patriotique durant les dix années écoulées, par les satiristes habitués des cénacles hostiles aux Lumières, par des repentis passés au service de l’Empire. L’histoire sociale des écrivains et des productions littéraires de la période révolutionnaire demeure encore largement en friche aujourd’hui, ou dominée par un double système de représentation. D’un côté, les écrivains apparaissent comme la conscience critique d’une société et d’une opinion publique dont ils représenteraient l’avant-garde ; de l’autre côté, comme des « exilés du Parnasse », des « Rousseau des ruisseaux » revanchards et opportunistes, autrefois oubliés de la distinction académique, du mécénat et des pensions, maintenant soumis au jugement d’une opinion qu’ils flatteraient.

Si la Révolution ouvre une période liberté en reconnaissant le droit d’auteur, ses premières années voient de fait se cristalliser luttes et conflits autour d’une question essentielle : la fonction de « l’écrivain » (notion au demeurant complexe) et de son œuvre dans l’entreprise de régénération politique. Auteurs de poésies, de chansons, d’hymnes, de pièces de théâtre seront en conséquence pris en compte. Le champ est sociologiquement et stylistiquement vaste, tant les plumitifs, de toutes origines, sont nombreux à rimer sur tout et n’importe quoi – ce que déplorait Voltaire -, non sans succès éditoriaux parfois, qui font sortir la rime du simple exercice de salon. C’est pourquoi le corpus sera circonscrit aux pièces politiquement engagées et à leurs poètes, qui font de leur art une activité sociale et militante. Il s’agira de réfléchir aux fondements de l’engagement individuel ou collectif des artistes, aux phénomènes générationnels, à leurs réseaux de promotion, aux voies de leur reconnaissance, à leurs supports éditoriaux, aux formes esthétiques qu’ils privilégient ou inventent, à leur audience nationale et internationale. L’ambition est de recourir non à une addition de biographies – forcément limitée dans sa construction et dans ses buts – mais à la prosopographie des auteurs à partir des sources qui permettent de les saisir collectivement (demandes de pensions, almanachs, par exemple). Par ailleurs, il faudra sérier le corpus politique en vers construit dans la décennie révolutionnaire, évaluer les formes esthétiques mobilisées (quelle est la part de l’invention, des emprunts à une culture académique, quels sont les rapports avec les autres arts, etc.), leur réception par le public, dont on sait le rôle éminent qu’il joue par exemple dans la censure et les succès théâtraux, mesurer la pérennité des formes littéraires, des références, des topiques, et de la mémoire des auteurs d’une révolution à l’autre (1830, 1848).

L’instrument privilégié de ce projet sera la constitution d’une base de données collective, sur le modèle d’une base de type Fichoz, qui permet de croiser entrées biographiques et œuvres, de faire émerger et de cartographier des réseaux. Le Centre d’Histoire « Espaces & Cultures » (CHEC) en possède la maîtrise, grâce notamment, à l’enquête récemment menée sur les acteurs de la Révolution et de la Contre-Révolution. Il a une expertise internationalement reconnue sur cette période historique. Il s’est aussi fait une spécialité de l’histoire culturelle de la France de la fin du XVIIIe siècle à travers deux projets soutenus par l’Agence nationale de la Recherche : l’un sur les musiciens et les musiques d’Église (MUSEFREM), l’autre sur les troupes théâtrales et les spectacles provinciaux sous la Révolution et l’Empire (THEREPSICORE), qui ont donné lieu à des bases de données hébergées par le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) sur le portail PHILIDOR. Les résultats de la deuxième enquête seront notamment utiles pour imaginer et abonder la base de données sur les poètes engagés. Ajoutons qu’elle a été le fruit d’une étroite collaboration entre le CHEC et le Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique (CELIS), les deux équipes déposant ce projet régional, habituées à travailler ensemble sur les Lumières, la Révolution et le romantisme. La base Poètes de la Révolution viendrait donc compléter les précédentes, permettant que, depuis les centres clermontois, se construise petit à petit un panorama complet des activités culturelles à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, particulièrement dans leurs dimensions les plus politiques. Les résultats de ces enquêtes ont une visibilité nationale et internationale, grâce à l’hébergement des résultats soit sur la plate-forme ADONIS du CNRS, soit dans le portail PHILIDOR du CMBV, lui aussi adossé au CNRS. Une base comme Poètes de la Révolution deviendrait pour la MSH un des points forts de sa politique de développement des humanités numériques. Pilotée depuis Clermont-Ferrand, elle contribuerait à la visibilité, déjà importante, des lettres et sciences humaines clermontoises.

En associant un post-doctorant à un doctorant, notre projet permet de concilier les deux dimensions qui le caractérisent : recherche et technique dans un domaine peu exploré. Il concilie aussi les deux thématiques qui le structurent : la sociologie des poètes militants, selon une enquête dévolue au doctorant en histoire ; l’étude des formes, des supports, des lieux et de la réception de leur production, laissée à un post-doctorant étranger qui devrait impérativement être un historien ou un littéraire de la période étudiée.
 
  • Porteur du projet : le CHEC
  • Coordinateur du projet : Philippe Bourdin
  • Partenaire du projet : le CELIS
  • Coordinatrice scientifique du projet : Françoise Le Borgne