Responsable : Gaëlle Loisel et Fanny Platelle

Présentation de l’axe :
Le champ littéraire est organisé selon des frontières qui se redessinent continûment et renvoient à de mouvantes entités, linguistiques, socio-culturelles et génériques – sans qu’il soit toujours possible de faire le départ entre les termes de cette dernière énumération. Garante de l’ordre en ce qu’elle délimite des territoires, la frontière assigne à chacun sa place mais constitue également et surtout une invitation au franchissement, voire à la transgression. Aux époques des Lumières et du Romantisme, les œuvres circulent et, pour rendre compte de ces mouvements migratoires, il est nécessaire de les suivre dans les espèces d’espace qu’elles habitent, traversent et façonnent.
Bien des textes renvoient aux contacts et conflits des cultures ou des identités. Ces derniers sont incarnés par des personnages marginaux qui n’entendent pas, à l’instar du bohémien, du brigand ou de l’artiste, se conformer aux règles et usages dominants. Ils se déduisent de la mise en texte des oppositions entre préconstruits fondés sur l’appartenance à une nation, à un groupe social, à une catégorie de genre, voire à une génération, une morale, une origine… Ils se lisent dans l’affrontement des manières de voir, de sentir et de parler qui renvoient à des systèmes de valeur en constante évolution. Chacun de ces cas de figure (la liste n’est évidemment pas exhaustive) permet de voir comment la littérature – en lien aux autres arts – se confronte aux transferts socio-culturels qui s’opèrent entre individus, groupes sociaux ou civilisations, de manière violente ou pacifique, consciente ou impensée.
L’un des postes d’observation privilégié pour observer les zones de rencontre ou les seuils et passages entre différentes sphères socio-culturelles ou artistiques est celui des traductions, adaptations, réécritures (mais aussi réceptions) d’une œuvre donnée dans une langue étrangère. Lorsqu’un texte migre dans un autre système de références, il subit à l’évidence des transformations qui ne concernent pas le seul plan linguistique. Le geste de traduction (et le choix même du répertoire traduit) est, on le sait, fortement dépendant de partis pris qui nous font accéder à l’univers du traducteur et de son public. L’appropriation de modèles étrangers n’est, quant à elle, pas seulement acte de révérence. Elle peut à l’occasion devenir le moyen d’imposer des conceptions esthétiques qui s’élaborent au terme d’échanges complexes entre des aires culturelles et des époques différentes, ou encore favoriser l’éclosion de nouvelles formes littéraires et artistiques. En France, les traductions ont ainsi joué un rôle capital dans l’apparition d’une poésie en prose aux XVIIIe et XIXe siècles ; elles ont également rendu possible l’émergence de nouvelles formes musicales, en permettant aux compositeurs de se confronter à des littératures étrangères. De même, la réception de genres dramatiques français (vaudeville, mélodrame, opérette) a fortement influencé l’évolution des répertoires autrichiens et allemands au XIXe siècle. Réfléchir conjointement sur le processus de traduction et d’adaptation permet ainsi d’examiner les enjeux esthétiques, linguistiques, sociaux et politiques d’un dialogue avec l’altérité, qui est un des fondements des romantismes européens.
L’étude de ce qu’on pourrait appeler des « genres frontières », qui jouent délibérément du métissage ou de l’hybridation, permet de porter l’analyse sur un terrain symbolique, étant entendu que ce dernier n’est en rien isolable des mutations qui se jouent sur d’autres scènes. Poème en prose, récit poétique, théâtre de la pensée, théâtre en musique, littérature « populaire », fictions apologétiques, symphonie ou légende dramatiques montrent, s’il en était besoin, que l’œuvre singulière ne se laisse pas facilement enclore dans des cases à l’avance fixées par la tradition ou les arts poétiques. En marge du « littéraire » se tient également la série des « petits genres » dont la puissance critique est d’autant plus forte qu’ils n’ont pas à rendre de comptes aux législateurs du Parnasse, peuvent ouvertement s’afficher comme des « mosaïques » ou des anthologies (ironiques autant qu’on voudra), ou encore se tenir à côté (mais aussi au côté) d’une littérature inscrite dans des modes de production et de diffusion autorisés. Les transferts et questionnements de marges de diverses natures que l’on peut observer (entre différents genres, différents arts, au sein d’une œuvre plurielle et sur des plans socio-esthétiques) contribuent à donner à la marginalité une place… centrale, à partir de laquelle la critique pourra penser les zones d’intersection entre des ensembles apparemment disjoints mais en fait étroitement imbriqués.

Séminaire d'équipe (2016-2017 ou 2017-2018?) et publication :


Le tournant du XIXe siècle est marqué par un intérêt nouveau pour des traditions et sources relevant de la « littérature populaire » (« naturelle », « primitive », mais aussi littérature de divertissement) et par une circulation et une diffusion accrues des œuvres en Europe (notamment par le biais de traductions). Les productions et pratiques littéraires peuvent être jugées à l’aune de nouveaux critères esthétiques et politiques et les systèmes de références s’en trouver questionnés, voire bouleversés.

Ces évolutions passent notamment par :
  • Des phénomènes d’interaction entre diverses littératures traditionnellement séparées : littératures « populaires » et « savantes » ou autres dénominations renvoyant à des coupures (esthétiques, sociales, idéologiques) de même ordre ;
  • Des processus d’adaptations et transferts : entre aires culturelles ou linguistiques, mais aussi et en conséquence entre champs génériques ;
Les domaines d’observation de ces évolutions sont très divers : redécouverte de formes de poésie narrative dites « populaires » ou perçues comme telles (ballade, romance, complainte) qui inspirent en retour des poètes européens « majeurs » ; relations entre les « grands » romantiques français et les poètes ouvriers (autour de la question sociale) ; importation depuis l’étranger de nouveaux thèmes et formes renouvelant genres et goûts (en Autriche par exemple, où la traduction d’œuvres dramatiques ou romanesques françaises, anglaises, allemandes, renouvelle le théâtre populaire viennois, mais influence aussi le Burgtheater) ; adaptation de formes d’expression sources de débats et redéfinitions esthétiques (par exemple lors de l’adaptation en prose française de poésies étrangères à l’origine en vers, aboutissant à bouleverser la conception même de la poésie). Parallèlement s’élaborent des discours – esthétiques, philosophiques, politiques – qui interrogent ces évolutions et notions.
Dans quelle mesure ces phénomènes, qui relèvent pour une part de la reproduction, voire de l’imitation, contribuent-ils également à la réinvention, au renouvellement, à la création de nouvelles formes, de nouveaux genres, de nouvelles définitions de territoires symboliques ? Quels changements ces interactions font-elles subir aux normes en vigueur et aux systèmes de référence et quels débats suscitent-elles ? Enfin, quels sont leurs modes de diffusion, de réception et leurs conditions de développement (matérielles, légales, économiques, politiques…) ?
L’objectif de ce séminaire sera ainsi d’envisager la façon dont la littérature se réinvente à partir de processus d’adaptation ou transferts, et en mobilisant des catégories telles que « littérature populaire », « primitive » ou « naturelle », des « marges » (vs. « noble », « savante », etc.). Une attention particulière sera portée à la pluralité des discours qui se construisent autour de ces notions et des hiérarchisations qu’elles convoquent, ainsi qu’aux liens entre, d’une part, pratiques et représentations littéraires, et, d’autre part, catégories sociales (production et réception des œuvres).
Le projet est de faire aboutir ce séminaire à un numéro de revue autour de ces notions d’adaptations et réinventions, transferts et transgressions (2019 ?).

Partenariats avec d'autres groupes de recherche. Germanosphère : "L'Autriche, entre centre(s) et marges" :


Le groupe de travail interdisciplinaire Germanosphère (Anne-Sophie Gomez, MCF Département d’Études germaniques LLSH / CELIS ; Dana Martin, MCF Département d’allemand LACC / Communication & Solidarité ; Fanny Platelle, MCF Département d’Études germaniques LLSH / CELIS ; Hélène Roth, MCF Département de géographie / CERAMAC) a organisé le 23 octobre 2014 une journée d’études intitulée « L’Autriche en perspective : centre(s) et marges » à la MSH de Clermont-Ferrand.
La situation géographiquement centrale de l’Autriche en Europe lui a permis de rayonner, voire d’exercer un contrôle au-delà de ses frontières ; en même temps, sa situation aux confins de l’Europe occidentale l’a confrontée à des influences diverses et contradictoires, que le pays et ses habitants ont intégrées, assimilées, ou dont ils ont au contraire cherché à se démarquer. Ainsi, ce pays a beaucoup oscillé entre la mise en valeur de son patrimoine (culturel), qui continue d’attirer de nombreux visiteurs, et un avant-gardisme, qui l’a paradoxalement moins isolé, marginalisé, que singularisé, et qui a même permis à l’Autriche de jouer un rôle de précurseur de certains courants intellectuels et artistiques (psychanalyse, Wiener Secession, dodécaphonisme, Anti-Heimatliteratur).
Les relations entre centre(s) et marges ont contribué à créer une dynamique d’ouverture ou de fermeture vis-à-vis de l’étranger. Si la tendance à la quête d’identité nationale, confortée par les recompositions politiques du XXe siècle et l’enclavement alpin, ne saurait être niée, l’Autriche ne peut se réduire à sa tentation d’un repli nationaliste, dont les résurgences caractérisent toute une partie de l’Europe ces deux dernières décennies. Ce serait minorer la vitalité et le poids d’intellectuels et d’artistes très lucides sur les obsessions, les failles et l’amnésie de leur pays. Nombreux sont en effet celles et ceux qui placent le devoir de mémoire et la vigilance politique au centre de leur engagement, de leur pensée et de leur écriture.
Les tensions entre centre(s) et marges, ouverture et fermeture ont enfin suscité des images diverses de l’Autriche, que la Journée d’études s’est aussi attachée à cerner. Elles se situent entre les deux extrêmes que constituent l’idéalisation mythique d’une part (la monarchie impériale et royale – « k. und k. » – des Habsbourg, les paysages du Danube et des Alpes immortalisés par les Heimatfilme) et la diabolisation, la marginalisation d’autre part (« affaire Waldheim », entrée au gouvernement du parti d’extrême-droite FPÖ en 2000).
Les communications présentées lors de cette Journée d’études donneront lieu à un volume collectif (présenté par Fanny Platelle), peut-être dans la revue Austriaca (projet soumis en mai 2015).

« Les Bohémiens, figures de la marge : représentations artistiques et littéraires du xixe au xxie siècle », Cologne, 19-21 octobre 2015.
Ce colloque est organisé par Sidona Bauer (Université de Cologne) et Pascale Auraix-Jonchière (CELIS). Plusieurs membres du laboratoire y participent : Pascale Auraix-Jonchière, Rose Duroux, Anne-Sophie Gomez, Mathilde Jamin, Catherine Milkovitch-Rioux, Véronique Léonard-Roques et Nathalie Vincent-Munnia.
Ce colloque, qui se veut interdisciplinaire, vise à rendre de la diversité des approches méthodologiques mobilisées autour de la thématique des bohémiens en littérature, en confrontant, notamment, les méthodes de la Romanistik allemande et de la critique française. Il vise également à délimiter un corpus en s’efforçant de préciser la notion de « bohémien ».