Séminaire de sociopoétique 2024-2026

Avec ce nouveau programme du séminaire de sociopoétique, nous voulons analyser les représentations sociales liées à ce que Ricœur appelle mêmeté et ipséité, c’est-à-dire l’identité inscrite dans des catégories générales (statut social, caractère, genre…) et l’identité singulière, lié à l’affirmation de soi ici et maintenant.
Partant du fait que l’identité n'est pas seulement une construction, mais une co-construction, produit d’une activité communicationnelle, nous souhaitons placer au cœur de la réflexion la dimension transactionnelle du regard de l'autre.
Moi comme un autre, c’est d’abord le sentiment d'être ou de devenir un étranger à soi-même. Cela commence avec la métamorphose des ancrages qui assurent la permanence du sujet dans le temps : le corps qui transforme la perception de soi, par l'évolution et l'histoire (adolescence, vieillesse, maladie, etc.).
Nous jouons en permanence de nos différentes identités dans des contextes donnés (professionnel, familial, social, etc.), mais nous conservons le sentiment de la pérennité de notre moi. Cependant des discontinuités, des ruptures du sentiment d’être soi surviennent pour des raisons diverses, au point que le sujet, métamorphosé, altéré ou perverti, peut ne plus se reconnaître : « Qui es-tu, Martin Eden ? Qu’es-tu ? », s’interroge le héros de Jack London engagé dans son processus radical d’acculturation.
Moi comme un autre, c’est aussi le sentiment d’être un étranger pour les autres (dans l’exil, dans la folie) ou d’être enfermé dans une identité sociale ou sexuelle qui n’est pas la sienne (pour les personnes transgenres, par exemple). L’expérience minoritaire est particulièrement intéressante à analyser dans cette perspective : comment exister dans un contexte culturel qui cherche à vous effacer ou à vous imposer un moi contraint ? Ces phénomènes d’étrangéisation du moi conduisent aussi à la problématique du déracinement comme du double (résultat du désespoir d’être soi et du désespoir de ne pas être un autre).
Moi comme un autre ouvre également la question de l’empathie dans tout son empan (pitié, charité, sympathie, largesse, hospitalité, etc.). L’identité peut s’élargir par sympathie avec des individus issus d’autres milieux, genres, voire règnes (si l’on songe au changement de perception de la nature et de ses « créatures » que la métamorphose en loup rend possible chez Émile, à la fin du Règne animal de Thomas Cailley). Cependant se mettre à la place de l’autre ne concerne pas seulement l’empathie, mais également tout le jeu de l’acteur (et le paradoxe du comédien), le plaisir du déguisement, de la mascarade, de l’incognito et du masque.
À travers la riche variété des différentes manifestations et occurrences du jeu identitaire, le fil rouge du séminaire consistera dans le repérage des représentations et de leur imaginaire en acte. Si certains genres littéraires se prêtent tout particulièrement à cette étude (les écritures de soi, l’autofiction et plus largement les écritures à la première personne), il est possible d’envisager les métamorphoses de l’identité dans d’autres contextes, y compris dramatiques, lyriques, et plus généralement artistiques. Au sein de ces œuvres, dans une perspective sociopoétique, on s’intéressera aux représentations et interactions sociales à travers lesquelles l’identité du sujet est perçue comme telle par lui-même et par les autres dans ses divers avatars. On questionnera l’écriture des métamorphoses du moi et de son étrangéisation en s’interrogeant sur la poétique à laquelle elle donne lieu.